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Deo Favente : la transition parfaite

Mai 2017 SCH dévoilait son second album : Deo Favente. Sur une pente ascendante depuis A7 le marseillais venait alors confirmer son succès commercial avec une première semaine à plus de 28 000 ventes (son meilleur démarrage à l’époque). Cependant l’accueil critique du grand public sera lui plus mitigé. Encore aujourd’hui Deo Favente est soit adoré soit détesté. De ce fait on vous propose de revenir sur un album qui divise mais qui a assurément permis à SCH d’être l’artiste qu’il est aujourd’hui.

En 2015 SCH entrait dans le rap à grand coup de pied dans la porte avec A7, sa première mixtape. Publié sous DefJam tout comme Anarchie, son premier album, ce projet posait idéalement l’univers artistique d’un homme qui allait alors voir se former une fan-base très solide qui est encore présente aujourd’hui. Pour la sortie de Deo Favente SCH s’est séparé de DefJam pour rejoindre Millenium/Capitol. Toutefois, ce changement n’impactera pas son organisation puisqu’on retrouvera autour de cet album des personnes déjà présentes sur les précédents comme par exemple les frères Fezari (Kore et DJ Bellek) ou Guilty à la prod, mais aussi Koria à l’artwork. Ces différents acteurs ne seront cependant pas les seuls points communs avec les précédents projets…

I Fondamenti (les fondamentaux)

Tout album de qualité se doit d’avoir une intro qui en impose ou qui fixe clairement l’ambiance du projet. Sur A7 et Anarchie SCH avait excellé avec des titres sombres et pessimistes sur le monde qui l’entoure comme « John Lennon » et « Anarchie ». Encore une fois le marseillais ne décevra pas et introduira Deo Favente avec une énorme prestation nommée « Comme Si ». Les premières notes, très calmes, sont accompagnées d’une phrase d’introduction – « On n’a pas grandi avec des cuillères en argent dans le cul, fils de pute, ta daronne en classe C, tainp » – qui restera d’ailleurs dans les esprits des auditeurs. Lorsque l’instrumental aura décollé le rappeur enchainera des écrits marquants, imagés et egotrips à une vitesse folle. Après deux minutes trente de kickage brut la pression descendra d’un cran avec une légère touche de vocodeur. Parfait que ce soit dans sa musicalité, dans son écriture, mais aussi dans sa construction, « Comme Si » sera imagé par un très beau clip (réalisé par Hobo & Mojo) qui possède des plans dignes d’un film de gangster.

Introduit dans « Comme Si », mais aussi dans les projets précédents avec des titres comme « Gomorra » ou « Anarchie », l’ambiance mafieuse se verra donc détenir une place prépondérante au sein de Deo Favente, et ce n’est pas le titre suivant, « Nino Brown », qui nous fera dire le contraire. Dans ce second morceau le rôle de criminel joué par SCH sera plus proche de Harlem que de la Sicile avec une référence directe au film New Jack City (1991, Mario Van Peebles) qui met en scène la traque d’un baron de la drogue nommé… Nino Brown. Egotrip sur une prod obscure signée Drama State, SCH enchainera les punchlines fidèles à lui-même et livrera une nouvelle très bonne performance sur un titre glauque et ténébreux.

Élément composite majeur de son univers artistique, le côté mafieux ultra référencé sera également présent sur d’autres titres comme par exemple sur « Poupée Russe », « Slow Mo » ou « Les années de plomb ». Sur « Poupée Russe » cette ambiance sera flagrante à la vue du clip où SCH se mettra en scène entrain de torturer un flic. Cette scène qui est directement inspirée du film Reservoir Dogs (1992, Quentin Tarantino) viendra prouver encore une fois que le marseillais puise, avec brio, ses inspirations dans des œuvres peu exploitées (ou moins que d’autres) au sein du rap français. En ce qui concerne « Slow Mo », mais surtout « Les années de plomb », l’aspect mafioso sera plus présent dans la musicalité qui peut s’apparenter à une bande-son oppressante digne d’une série comme Gomorra ou Suburra. Présent depuis le début de sa carrière, ce rôle joué par SCH qui peut se voir être associé à un Genny Savastano ou un Michael Corleone sera alors sur Deo Favente beaucoup plus flagrant aux yeux des auditeurs, mais surtout beaucoup plus présent que sur A7 et Anarchie. Un an plus tard cela se verra donc être logiquement l’élément majeur du storytelling de son album JVLIVS.

Le aperture (les ouvertures)

Sur les 16 titres du projet on peut donc à peu près en compter entre huit et dix qui s’inscrivent dans une ambiance type A7/Anarchie. Fidèle à sa ligne conductrice artistique SCH aura su avec ces différents titres sombres et egotrips imposer un peu plus son univers singulier que seul lui maitrise. Cependant, le point de divergence autour de Deo Favente ne se portera pas sur ce genre de prestations…

Avec un succès grandissant depuis A7 le marseillais avait avec ce projet tout intérêt à se diversifier s’il ne voulait pas voir cet engouement autour de lui s’estomper. Cette diversification passera donc logiquement par des prises de risques ou des titres qui sortent de son cadre habituel. Cette première prise de risque s’illustrera dès le quatrième track : « Day Date ». Avec un enchainement saccadé de mots anglais, français et italiens sur une prod estivale, le marseillais surprendra son audimat. Même si dans son ensemble ce titre s’apparente à une touche de légèreté après des morceaux très crus et sombres, il n’en reste pas pour autant moins travaillé avec des écrits faisant références à des artistes majeurs du rap marseillais (IAM et Fonky Family) ou au model « Day Date » de la luxueuse marque de montre Rolex. Ce genre de référence à l’horlogerie sera également présente sur JVLIVS. En effet, « Skydweller », le septième morceau de ce dernier, tire encore une fois son nom d’un modèle du célèbre fabriquant suisse. La seconde prise de risque s’effectuera à la fin de l’album avec les deux titres « Météore » et « Temps Mort ». Sur « Météore » l’écriture peut être dite facile du fait de paroles peu originales, cependant, la prod qui sera parsemée d’échos viendra rappeler que même sur un morceau assez simple SCH ne néglige pas les détails qui peuvent faire passer un son banal à un son à plus fort potentiel. Produit par Therapy, l’outro, « Temps Mort », sera surement la plus grosse prise de risque avec une instrumentale inédite (que ce soit pour SCH ou pour Therapy) sur laquelle SCH viendra chanter tout le long avec un flow nonchalant et étonnant.

Outre ces prises de risques flagrantes Deo Favente accueillera des titres plus ouverts qui démontrent une réelle envie de se diversifier de la part du natif d’Aubagne. Le premier sera « J’attends ». Sur des notes de guitare qui font ressortir une grande mélancolie connotée « pop » SCH se livrera et abordera une relation passée à l’instar du titre « Fusil ». Particulièrement bien écrit et envoutant, ce morceau, qui est l’un des singles majeurs du projet, sera logiquement présent dans l’objectif de toucher un public plus large et hors rap. La seconde ouverture musicale se portera sur le titre « La Nuit ». Sur un sample de « Tango to Evora » de Loreena McKennitt SCH s’essaiera à la variété française et livrera un morceau rempli de mélancolie et de nostalgie qui aborde sa relation avec son père. Très poétique et avec de nombreuses descriptions de scènes de vies, « La Nuit » peut sans aucun doute figurer parmi ses textes les mieux écrits. Comme avec « J’attends », SCH viendra ici côtoyer la chanson française dans sa musicalité et s’extirpera du rap avec des propos plus doux pour un plus grand public. Ces différentes prestations étrangères à l’univers du marseillais seront donc les principaux arguments de ses détracteurs mais montreront surtout une grande polyvalence ainsi qu’une énorme évolution depuis le début de son parcours.

Sur Deo Favente SCH aura livré un projet très travaillé et ouvert qui n’aura toutefois pas laissé de côté ses fondamentaux. Avec du recul cet album peut alors aujourd’hui s’apparenter comme une transition au sein de sa carrière qui introduira parfaitement la trilogie JVLIVS. Projets majeurs de sa discographie, JVLIVS et JVLIVS II n’auraient sûrement pas pu exister sans Deo Favente