Kekra, un artiste à part
Artiste incontournable au sein du paysage rap français et à la fois très discret, Kekra suscite de nombreuses questions dues à une communication rare et hors des clous, parfois incompréhensible à ses débuts, mais loin d’être anodine. Des inspirations et sonorités peu communes au rap français lui amènent des critiques positives et poussent certains auditeurs à se demander si Kekra ne serait pas tout simplement « en avance sur son temps » de par son originalité artistique et sa grande polyvalence.
Accro dès la première dose
En 2015 un rappeur vêtu d’un masque en toute circonstance, et originaire de Courbevoie, suscite un engouement suite à un enchainement de clips dont « C kom ça » qui marquera un début d’intérêt de l’audimat pour ce mystérieux personnage du nom de Kekra. Il n’en faudra pas plus pour que quelques mois plus tard sorte Freebase vol. 1 qui comportera des extraits déjà connus. Ce dernier amènera des performances de qualité pour un premier projet comme « Sous la veste », morceau auquel il fera de nombreuses références dans ses projets suivants, ou bien « Zink Scofield ». Ni une ni deux, il publie Freebase vol. 2 toujours dans un anonymat total et une communication des plus discrète qui cultive un mystère autour du personnage. Des prods peu communes, des références pointues (Les Sopranos ou bien Raito Yagami de Death Note) sans toutefois délaisser les thèmes récurrents du rap que sont l’argent, la vente de stupéfiants ou bien la famille, ainsi qu’un flow nonchalant qui passe à un flow agressif sur le même morceau, voila ce qui fait l’intérêt autour de Kekra et ce qu’attendent ses « franjos » (nom donné à sa communauté par lui-même). Publiés gratuitement sur internet, ces deux premiers projets feront office de carte de visite artistique et permettront à Kekra d’exposer ses influences musicales étrangères (notamment le grime qui a une forte influence sur son travail) et donc par conséquent de se démarquer dès ses débuts.
L’émergence d’un artiste avec un grand A
En 2016 sort son premier projet physique, Vréel, qui sera très bien accueilli par la critique. Dans la continuité des deux volumes de Freebase Kekra livrera avec Vréel un projet complet et solide qui contiendra des bangers comme « Trop Chaud », des sons plutôt sombres comme « Cramé », mais aussi chantés comme « PinPon » et mélancoliques avec « Faut que je fasse ». Le courbevoisin montre là l’étendu de sa palette artistique et envoie un message fort pour la suite de sa carrière qu’il va confirmer avec Freebase vol. 3 qui sortira quelques mois plus tard. À cela s’ajoutera son premier vrai succès, « Pas Joli » (extrait de Vréel), qui élargira le public de l’artiste qui continue de se faire rare en termes de communication. Durant cette année charnière qui précise son orientation artistique et qui consolide sa fan-base, Kekra accordera une interview au journaliste Mehdi Maïzi (pour son émission « La Sauce » sur OKLM Radio) qui accentuera « l’énigme Kekra » et qui suscitera au passage un petit malaise lorsqu’il utilisera comme ponctuation la phrase « Vréel dans les bacs ».
L’année suivante parait Vréel 2, projet qui encore une fois est bien accueilli par sa fan-base mais qui reste cependant toujours un succès d’estime. Ce dernier mettra en valeur une facilité technique de la part du parisien, toujours plus inspiré par la grime anglaise (un mélange de hip-hop, garage, drum et dance/pop) comme sur « 9 Milli » par exemple qui est encore aujourd’hui un de ses plus gros succès. Ses clips sont de plus en plus travaillés et imagés avec des visuels différents : un décor paradisiaque pour « Walou », des ruelles japonaises pour « 9 Milli », les cotes togolaises pour « Sans Visage » mais aussi un contraste entre les cités HLM de Courbevoie et le quartier de La Défense situé à deux pas dans « UZI ». Ultra productif pour un artiste se disant peu intéressé par le milieu du rap, Vréel 3 sortira huit mois plus tard. On y retrouvera des titres similaires à « 9 Milli » comme « Charbonné » ou « Capuché », mais le titre phare sera « Intermission » dont le clip fera apparaitre des rappeurs tels que A$AP Rocky, Future et les Migos. Malgré ces apparitions Kekra, qui en est déjà à son sixième projet, n’a pour l’instant réalisé aucun featuring ce qui bien sûr ne semble pas déranger l’audimat, car on peut le dire, Kekra en solo suffit pour la qualité espérée. Même si il suit sa ligne conductrice, une chose change en cette année 2017, le haut-seinais s’ouvre plus en termes de communication et accorde une interview à Viceland durant laquelle il s’exprimera entièrement en anglais (avec aisance) en se tenant de profil face aux journalistes. Ce passage devant la camera lui permettra de se dévoiler un peu plus comme notamment sur la raison du port de son masque qu’il justifiera par cette phrase : « Pour que ma mère ne découvre pas que je suis un rappeur, elle serait déçue. Elle aurait honte je pense. Parce que j’ai honte de ce que je fais actuellement. Parce que le rap ce n’est pas un vrai métier, le rap c’est de la merde ».
Nouveau tournant sans oublier la source
Après une absence totale pendant près de trois mois, Kekra publiera deux nouveaux clips qui montreront un nouveau palier franchi en termes d’esthétique comme sur « 10 balles » tourné dans la cité de Font-Vert à Marseille, ou bien sur « Viceland » où l’on aperçoit un attachement à la culture nippone qui le suit depuis le début de sa carrière. Toujours en termes de visuel, l’artiste sans frontières voyage et acquit une grande ouverture d’esprit. Cela se ressentira sur le rendu de ses clips où l’on peut le voir en Thaïlande et au Japon mais aussi en Afrique et aux États-Unis. À la suite de ces deux clips qui atteindront le million de vues assez rapidement, Kekra gagnera en reconnaissance (toujours plus d’estime que commercial) au sein du paysage rap français et dévoilera son premier album intitulé Land. Sorti un peu avant l’été, cet album qui est le premier hors-série Freebase/Vréel est à contre-pied des précédents projets avec des titres très ensoleillés comme « J’travaille » ou « C’est bon », mais reste tout de même fidèle à son personnage en abordant toujours les thèmes de l’argent, de la famille, et de sa position dans le rap qu’il juge supérieure aux autres rappeurs. Cette supposée supériorité lui servira d’ailleurs à justifier le port de son masque dans une interview pour l’abcdrduson où il déclarera : « je n’ai pas envie de contaminer les autres avec mon flow. Il est trop puissant en fait. » Projet le plus court de sa carrière avec 11 titres, Land sera sa seule sortie en 2018, une première pour un Kekra ultra-productif qui estime que le monde de la musique force un artiste à sortir constamment quelque chose sous peine de tomber dans l’oubli. Une nouveauté également, une interview pour Booska-P qui sera diffusée juste avant la sortie de Land où Kekra apparaitra détendu face camera et où il livrera des informations (à Yérim Sar) sur la composition de ses morceaux qui sont tous faits en 1h maximum, sur son écriture où il « ne se prend pas la tête », et sur la composition de ses albums qui contiennent la totalité de ses sons enregistrés. Avec une communication légèrement plus ouverte mais toujours discrète et surtout très singulière dans l’objectif de faire seulement parler sa musique, Kekra continue son ascension et conserve cette énigme autour de sa personne.

La Vréalité de Kekra
Depuis ses débuts en 2015 Kekra n’a pas chômé avec quatre projets en 2016, deux en 2017 et un en 2018. Le parisien aura été constant avec une qualité artistique qui ravira à chaque fois ses fans et une communication presque muette dont lui seul a le secret. Après Land c’est un Kekra différent sur le plan de la communication auquel on aura à faire. Beaucoup plus présent sur les réseaux-sociaux où il publiera dans ses story Instagram des exclus comme « 7 FLOWS » ou « Tant d’années » que ses auditeurs les plus fidèles remonteront eux-mêmes pour pouvoir l’écouter sans coupure, Kekra apparaitra plus libre pour parler de sa musique et ira même jusqu’à inviter l’équipe de Booska-P. En effet ces derniers se rendront au Japon pendant 72h pour aborder des thèmes comme la mode ou bien ses inspirations pour l’écriture de ses projets. Inimaginable jusqu’à présent, Kekra passe là un cap attendu par de nombreuses personnes : le fait de dévoiler sa personnalité, non pas par le fait d’enlever son masque, ce qui n’arrivera probablement jamais, mais bien de parler de sujets qui lui sont chers comme le monde de la mode où il a entrepris une carrière de designer (il a déjà effectué une collaboration avec la marque HOMECORE). Le rappeur masqué avait même été invité par BAPE pour l’inauguration de leur magasin à Paris ce qui sonnait alors comme une consécration pour l’homme passionné. Ces 72h passées avec Booska-P au Japon ont aussi montrées que Kekra n’a pas perdu ses habitudes et que son inspiration hors du commun (musicale ou visuelle) qu’il puise en Asie depuis ses premiers projets est toujours présente et qu’elle n’est pas prête de disparaitre. La seconde grande différence c’est le premier featuring de sa carrière avec Niska sur « Vréalité », le titre éponyme de son futur album qui sortira la même année. Clipé, le morceau amènera une grande exposition de par la beauté des images et la présence d’un Niska qui a alors le vent en poupe. Un autre titre sera clipé, « CLS », avec un rendu visuel futuriste encore une fois de qualité et truffé de références à ses clips précédents où des robots sont mis en scène tels les habituels « ienclis » présents dans la totalité de ses morceaux. En plus de cela Kekra réalisera dans le cadre de sa promotion des freestyles pour OKLM Radio et Booska-P. Le parisien sortira donc par la suite Vréalité qui est surement son album le plus complet puisqu’il repose sur un équilibre de 13 titres entre prises de risques avec « Doré », « Chut » ou bien « Violation », et du Kekra classique digne d’un Vréel des années 2016 avec « OSMS » ou « Aznavour ». Même s’il ne suit pas les Vréel sortis auparavant, ce projet semble s’inscrire dans leurs continuités de par les sonorités et les thèmes sombres abordés.
Un retour aux sources en featuring avec le futur
Début 2020 le coronavirus impactera le monde mais aussi la musique en entrainant une annulation des événements tels les concerts/festivals avec un confinement mondial qui aura un petit point positif : l’augmentation de la consommation en ligne et donc de la musique sur les plateformes de streaming. Le 27 mars, alors que la France est en plein confinement strict, Kekra dévoile le quatrième volume de Freebase alors que l’on pensait la série terminée quatre ans après Freebase vol. 3. La cover de ce projet est la même que celle de Freebase vol. 1 à la différence que celle-ci est une photo et non un dessin. On retrouvera également, comme sur la première, un numéro de téléphone grâce auquel les fans pourront joindre Kekra dans le cadre d’une précommande. La période semblera donc propice pour sortir un projet mais elle le sera encore plus pour Kekra qui rappelons-le est masqué. En effet ce dernier fournira en supplément de son album un masque (où l’on retrouve un logo à son effigie) pour toute personne ayant effectuée une précommande du projet. Un beau coup de com.
En termes de musicalité on retrouvera un Kekra fidèle à ses performances et ses sonorités comme sur « Devise » et « Ailleurs » mais aussi sur « Non » où la prod nous fera voyager dans le cœur de Kekra… au Japon. Mélangeant les genres, le courbevoisin montrera encore une fois sa capacité à s’adapter à tous types de styles musicaux avec des morceaux comme « Laisse-les faire » qui est plutôt dansant, ou bien « Anything » qui mélangera anglais et français et où il n’hésitera pas à rappeler qu’il peut se passer de featuring vu qu’il se considère encore et toujours comme supérieur à la concurrence. Seulement, un featuring il y en aura bien un sur ce projet (le deuxième de sa carrière). En effet KOHH, poids lourd du rap japonais, est présent sur le titre « Kohhkra » (contraction de KOHH et Kekra). Sur le plan esthétique Kekra montrera une fois de plus son talent indéniable pour la réalisation notamment sur « Putain de salaire » (réalisé par Romain Chassaing) qui le met en scène dans un univers futuriste digne d’un film de science-fiction (on y retrouve des inspirations du film V pour Vendetta et du jeu vidéo Infamous) de par ses effets spéciaux et ses costumes/décors. Avec 5129 ventes en première semaine Kekra confirmera sa place d’artiste important au sein du rap français et verra son succès d’estime se concrétiser par un premier réel succès commercial. Il rajoutera par la suite quatre titres supplémentaires au projet et fera même un featuring international sur « Bando Diaries » de Dutchavelli où l’on peut retrouver des rappeurs albanais, australiens et indiens… une chose impensable cinq ans auparavant.
En haut de l’arche
Durant la seconde moitié de 2020 Kekra ne laissera pas retomber sa productivité et publiera une série de freestyles nommée « #HautLesMasques ». Sur cette dernière, composée de sept titres, le parisien passera de style en style avec des prods planantes, drill, old-school et trap. Déjà confirmé avec de très bonnes ventes pour Freebase vol. 4, son succès sera encore plus apparent lorsqu’il sera invité par la chaine YouTube de CharlieSloth pour une session freestyle à Dubaï (sponsorisée par Apple Music). Près d’un an après la sortie de son précédant projet Kekra annonce son prochain album éponyme par le biais d’une précommande qui peut déboucher sur un voyage avec lui à Dubaï. Aucune date, cover, ni tracklist ne sera dévoilée à ce moment là mais seulement l’annonce de deux versions : FREE et BASE. Ces dernières renvoient bien sûr aux titres de ses mixtapes et révèlent encore une fois un certain soucis du détail de la part de Kekra. Ce soucis du détail se confirmera d’autant plus avec la cover de l’album qui sera scindée en deux avec une partie basse sombre et insalubre qui peut être associée aux décors de clips comme « Putain de Salaire » ou « Phénomène », le premier extrait de son album à venir. La partie haute elle représentera La Défense d’un point de vu futuriste (présence de vaisseaux spatiaux) avec en son centre la Grande Arche. Si l’on s’attarde sur cette dernière on peut y apercevoir dessus une silhouette pouvant faire penser à l’artiste qui réalisera deux jours avant la sortie de son album un concert en live au même endroit.

Sorti en avril, et donc peu de temps avant l’été, Kekra pratiquera sur cet album une musique beaucoup plus ouverte et ensoleillée. Parmi ces titres plus lumineux on peut retrouver « Babyphone », « Ready » mais surtout « Jeune Voyou » où le parisien y chante de manière inédite… du moins pour son univers artistique. Cette ouverture musicale s’illustrera avec des tubes, ce qui était extrêmement rare jusqu’ici, comme par exemple « Dans l’dos » qui s’affiche comme un hit parfait pour l’été. Toutefois, on retrouvera quand même des titres kickés comme « Numéro 9 » et sombre comme « Sans les miens ». Riche en sonorités et varié dans sa composition, KEKRA est un album globalement réussi qui lui donne le meilleur démarrage de sa carrière avec 10 527 ventes en première semaine (le double de Freebase vol. 4). Malgré un succès commercial pleinement acquis, ce projet ne tend pas à être considéré comme son meilleur du fait d’une ambiance peut-être trop peu variée et peu cohérente avec sa cover (une partie claire et une autre sombre) ainsi que sa communication promotionnelle. Cet album sera certainement plus appréciable cet été au volant de sa voiture en bord de mer.
En six ans Kekra a publié dix projets ce qui fait de lui un des artistes les plus productifs de la scène rap française. Ramenant une multitude de choses nouvelles comme certains flows, des voix changeantes en plein milieu d’un morceau ou tout simplement une musicalité étrangère peu présente en France, le tout combiné à un rendu visuel original et assez rare, Kekra apparaît alors logiquement comme un artiste à part dans le milieu musical français. Tous ces éléments font de Kekra un artiste sur lequel il faudra continuer à compter à l’avenir car sa vision unique du rap de par sa mentalité et son mode de vie très nomade font de lui un artiste avant gardiste qui a amené le rap français à franchir un palier qui ne peut être que bénéfique pour lui.