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BEN plg rappe sa réalité

Ces dernières années nous avons eu l’occasion de voir de nouveaux profils assez distincts s’imposer sur la scène rap française. Issu du Nord de la France, navigant entre Tourcoing, Lille et Dunkerque, 2022 a particulièrement réussi à l’un de ces noms : BEN plg. En effet, tout au long de l’année le nordiste nous a dévoilé trois projets de huit morceaux, qui forment Trilogie Réalité Rap Musique, et qui racontent chacun une même histoire, la sienne. On y retrouve une collaboration par opus : TK sur le premier, Bakari sur le second et Soso Maness sur le troisième. En ce qui concerne la production, l’intégralité des 24 titres est produite par Lucci’ et MURER, à l’exception de « Fumée dans les airs » où l’on retrouve également Luis Le Caméléon. Dès le volume 1 BEN plg annonce la couleur avec l’intro, « Wesh », où il fait un point sur sa vie et les doutes qui l’envahissent. Entre la sortie imminente de son projet, le temps perdu, l’incertitude de ses choix, ses déceptions et échecs comme lors de son éviction de « Nouvelle École », son passé dans la pauvreté, la perte de ses proches, sa pudeur… les grands thèmes qui constitueront le fil rouge des Réalité Rap Musique se distinguent facilement et prennent leur importance tout au long des trois chapitres.

Un combat acharné

Pochette de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.1 »
Tracklist de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.1 »

Le premier volume se centre sur l’espoir et les rêves de BEN plg, sans cesse freinés par une existence qui n’a jamais arrêté de lui mettre des bâtons dans les roues. De la pauvreté vécue aux sacrifices de ses parents pour l’élever correctement jusqu’à la perte de ses proches, le nordiste ne souhaite que se sentir vivre et rendre fier les siens, et surtout sa mère dont il est très proche puisqu’elle n’a jamais cessé de s’occuper de lui malgré les épreuves de la vie – « Maman abandonne tous ses rêves pour élever tous ses gosses donc je vais mettre toutes mes forces dans la course » (sur Réalité Rap Musique). S’il a mis du temps à trouver sa place en ce monde et sa propre manière de s’exprimer, BEN plg insiste tout le long du premier volume sur l’importance de se battre continuellement. La souffrance, la tristesse et les échecs étant des étapes inévitables de l’existence, les accepter pour les surmonter en attendant les jours meilleurs est d’une importance capitale pour avancer – « Le soleil voulait rentrer, la mélancolie voudrait partir, ils disent les contraires s’attirent donc on sourit sous la pluie » (sur Demain ça ira) – « Réalité Rap Musique juste pour prouver qu’on existe » (sur Réalité Rap Musique) – « J’fais d’la musique j’me sauve la vie » (sur La Symphonie de l’arrêt de bus). BEN plg rap clairement, malgré un passé chaotique, l’espoir d’une vie meilleure où se sentir vivre est permis, et c’est à travers sa musique qu’il l’exprime et l’affirme : c’est à travers sa musique que tout prend sens pour lui. Bien que le tout soit le plus souvent exécuté sur des prods mélancoliques puissantes, le rappeur n’hésite pas à dévoiler lentement mais sûrement l’étendue de son talent comme sur le banger « Nickel » ou sur le plus agressif « Dacia Logan ». Malgré tout, Réalité Rap Musique vol. 1 s’achève sur l’intime et puissant piano voix sans refrain intitulé « Quand les lumières s’éteignent ». De l’absence de son père aux souffrances de sa mère, du thème de l’alcoolisme à sa solitude, du handicap de son frère aux difficultés d’élever et d’éduquer sa famille dans des climats instables et complexes… difficile de dire si BEN plg s’emporte sur les fantômes du passé ou sur les voix dans sa tête comme il les appelle en faisant impasse sur les douleurs et les conséquences de celles-ci.

Un artiste humain et sincère

Pochette de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.2 »
Tracklist de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.2 »

Le bal s’ouvre sur deux morceaux d’egotrip kickés en bonne et due forme, « Humain » puis « Mauvaise Nouvelle » qui lui fait suite à son élimination de « Nouvelle École » – « J’ai pas été très loin dans la saison ». BEN plg ne nous dépayse pas dans cette seconde tranche de vie qui aborde des thèmes sérieux liés (ou non) à ses expériences personnelles et cela commence dès « Humain » : « On est l’pays des droits de l’Homme, des migrants sur l’aire d’autoroute, nos darons les anciens mettent la fin du mois sur la victoire du Barça dans les LotoFoot ». Toujours dans ces thèmes, l’ambiance sombre, puissante et mélancolique nous revient d’ailleurs en pleine face sur « Jusqu’à ce qu’elle s’aime ». Avec un évident clin d’œil à Tandem au refrain, et dans la continuité des « migrants au bord de l’autoroute » sur « Humain », « elle » désigne ici cette France gouvernée par des ministres violeurs dont le colonialisme est sans doute le plus gros tabou de son Histoire, de ce prolétariat mis à l’écart par le système que tentent de sauver les associations bénévoles, ou à ces jeunes éduqués par le rap français qu’il remercie d’ailleurs à la fin du morceau. La reprise de la phrase, et plus généralement le son en lui même, cherche sûrement à mettre en avant l’incohérence de l’État qui se veut être celui des droits de l’Homme, de l’égalité, mais dont la fracture sociale ne cesse de se creuser. Track très explicite, « Arrête de crier sur ta meuf » devient « Arrêtez d’crier sur vos gosses », puis sur vos parents. BEN plg aborde là le thème des familles recomposées qu’il connait bien, « convaincu qu’au départ y’a pas de mauvaise âmes », en référence aux comportements verbaux et physiques violents trop souvent passés sous silence qui marquent pourtant au fer rouge les enfants – « Facile à louper, facile à oublier, qu’un enfant c’est facile à troubler »« Ton papa qui crie, t’as pas compris la raison ». Enfin, le nordiste partage sa mentalité et ses valeurs, d’abord sur « Sueur et Sang » – « C’est nous les oubliés de la patrie, des ouvriers qui menaçaient les patrons » – puis sur « Riche avec un style de pauvre » – « J’ai fait un cauchemar où j’gagnait au loto (…), j’allais à Dubaï faire le con comme les autres, ignorais qu’c’est des esclaves qui nettoieront mon yacht » – sans oublier « Trop gentil » – « J’te connais pas, j’te tend la main, c’est la base, ils ont trouvés étrange qu’on soit trop gentil mais partager sa chance c’est la base ». L’interprète l’affirme, l’argent ne changera pas sa mentalité, et une fois à l’abri, c’est sa mère qu’il en fera d’abord profiter. Ce second volume, le moins mélodique des trois, nous dévoile un BEN plg assez sérieux au vu de thèmes personnels et généraux abordés. Ainsi, il nous livre une autre des facettes de l’artiste sincère et humain qu’il est, tant dans sa musique et sa mentalité que par ses convictions, le tout appuyé par son vécu.

Le rap c’est sa vie

Pochette de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.3 »
Tracklist de « RÉALITÉ RAP MUSIQUE VOL.3 »

Ce troisième opus s’ouvre sur la plus puissante des trois introductions, tant dans les jeux de voix que par la puissance de l’instrumentale qui instaure une ambiance dramatique presque pesante durant le morceau. Une atmosphère nocturne s’installe ainsi durant la première moitié du projet, sublimée par des mélodies sombres et des prods qui prennent le temps d’évoluer durant toute la durée des morceaux. La présence de jeux de voix plus poussés que jamais, appuyés par la sincérité et le vécu que nous partage BEN plg, viennent intensifier ce ressenti. À plusieurs reprises, le natif de Tourcoing évoque « les voix dans sa tête » avec lesquelles il entame un dialogue dans le morceau du meme nom : « T’sais, j’ai peur de mal faire, gros, et j’parle plus au micro qu’aux autres, mais grâce à la technologie, j’peux leur dire des vraies choses ». En interview comme en musique, l’artiste évoque ses difficultés à parler de lui, des son parcours accidenté ou de ses sentiments à ses proches, exercice désormais bien plus aisé pour lui dans son rap. Plus largement, il nous narre son vécu et son ressenti dans la continuité de ses précédents volets, à savoir sa peur de vivre la mort de ses proches – « Fin du show, j’prends un grand salaire, et ma grand-mère a pris quatre étés en un seul, j’ai peur de regretter face au linceul » – son besoin de dépasser les voix dans sa tête qui représentent ses peurs et obstacles faces à ses rêves et à l’espoir qu’il prône, son envie d’être présent pour les siens, son désir de voir sa mère heureuse… Sa volonté de représenter le prolétariat, les milieux défavorisés dans lesquels son enfance s’est déroulée s’illustre plus que jamais lorsqu’il se désigne comme le « prolétariat avec de l’attitude » sur « Magnifique ». Entre la vie dans les tours ou le tabou autour des troubles psychologiques, on voit peu à peu l’espoir s’exprimer dans la musique de BEN plg qui se rendrait compte au fur et à mesure que sa musique s’inscrit véritablement comme une porte de sortie à cette vie jusqu’ici incertaine et instable. La deuxième partie du projet, qui se démarque d’ailleurs par son ambiance moins terne, nous ramène à l’idée qu’après l’orage vient le soleil. Bien que tout ne soit pas toujours rose, le nordiste se bat pour réussir et pour rendre fier les siens, et surtout sa mère qui est source de motivation, comme dit sur « Khalé ». L’objectif est clair, « Tout niquer avant le grand départ » pour l’espoir et les siens – « Le rap c’est ma vie même si j’sais que c’est d’la folie, c’est magnifique la folie ». Sur « Rue des postes » l’incertitude de cette vie dans le monde de la musique est illustrée par cette démence qu’on peut également mettre en lien avec la schizophrénie mentionnée plus tôt ou simplement par cette volonté de fer, puisque BEN plg croit fermement au rap comme moyen de s’affranchir de la pénibilité de son existence.

En somme BEN plg nous a dévoilé une trilogie puissante et intimiste livrant ses expériences, ses sentiments et son vécu tumultueux de prolétaire avec de l’attitude. BEN plg a su proposer une large palette tant sur le plan musical que personnel avec justesse et maitrise. Véritable porteur d’espoir dans le tiercé musical de son propre récit, le nordiste démontre qu’il a pu surmonter son passé pour donner un sens à sa vie afin d’accomplir quelque chose de très grand : sa musique, Pour la Gloire et pour les siens !